Malgré ses faiblesses, le site peut encore être une plateforme pour les beaux esprits.
Aux alentours du 10 mars 2020, je m’interrogeais sur l’étrange nouveau virus, lorsque quelqu’un a posté sur Twitter l’essai d’un type dont je n’avais jamais entendu parler : Tomas Pueyo, qui travaille dans la technologie dans la Silicon Valley. Je l’ai lu deux fois. « Le coronavirus vient à vous », écrit Pueyo. « Il arrive à une vitesse exponentielle : progressivement, puis soudainement… Quand il arrivera, votre système de santé sera débordé. Vos concitoyens seront soignés dans les couloirs. Le personnel soignant, épuisé, tombera en panne. Certains mourront. Ils devront décider quel patient recevra l’oxygène et lequel mourra. Le seul moyen d’éviter cela est la distanciation sociale dès aujourd’hui. »
L’essai de Pueyo, qui a rapidement récolté 40 millions de vues, et son suivi, « The Hammer and The Dance », qui a correctement prédit un vaccin en quelques mois, ont annoncé ce qui allait arriver. Et j’ai rencontré les deux, grâce à ma dépendance à Twitter. Alors qu’Elon Musk semble sur le point de racheter la plateforme de médias sociaux pour 44 milliards de dollars, permettez-moi de dire quelque chose d’impopulaire : Twitter est le meilleur échange mondial d’informations et d’idées qui soit. C’est aussi très drôle.
Il a une presse terrible. Même « les utilisateurs les plus prolifiques de la plateforme y font souvent référence comme à « ce site d’enfer » », note Michelle Goldberg dans le New York Times. C’est tout à fait normal. Twitter fourmille de bots, de désinformation et de faux comptes (Mitt Romney avait l’habitude de tweeter sous le pseudonyme de « Pierre Delecto »). Pire, comme Donald Trump lui-même l’a dit au FT lorsqu’il était président : « Sans les tweets, je ne serais pas ici . . . Je n’ai pas besoin d’aller voir les faux médias ».
Mais comme le fait valoir l’auteur Sarah Jackson, les technologies ne sont pas intrinsèquement bonnes ou mauvaises. Ce ne sont que des outils. Condamner Twitter à cause des trolls, c’est comme condamner la presse à imprimer à cause de Mein Kampf. L’astuce consiste à filtrer les déchets.
Lorsqu’une personne stupide, un troll ou Kanye West apparaît sur mon fil, je le mets en sourdine. Pow ! C’est cathartique, comme enlever un bouton. Twitter s’est également amélioré pour éliminer les trolls et les bots : l’histoire de la technologie veut que l’invention arrive sans être réglementée et soit lentement apprivoisée. Musk, qui s’autoproclame « absolutiste de la liberté d’expression », pourrait faire reculer les choses en réhabilitant les trolls, y compris Trump, mais, même dans ce cas, l’échange d’idées se poursuivrait sur les meilleures parties du site.
Ma politique sur Twitter est de suivre les beaux esprits, les spécialistes ou les deux. Alors que Facebook et Instagram vous confrontent à des images horrifiantes des enfants parfaits et des petits-déjeuners parfaits de vos amis, Twitter propose des zones de substance. J’ai une foi très 2015 dans les experts, et je veux que les climatologues, les spécialistes du commerce et autres m’expliquent le monde. Récemment, un ami a tweeté un essai fascinant et optimiste de l’historien Timothy Snyder intitulé « Comment se termine la guerre russo-ukrainienne », tandis que quelqu’un d’autre a riposté avec la sombre érudition de l’universitaire Tatiana Stanovaya.
Même un tweet d’une ligne peut contenir une meilleure idée qu’un livre de 600 pages. Si Socrate revenait sur terre, j’aime à penser qu’il commencerait à dialoguer sur Twitter, probablement en anglais pour une portée mondiale :
@Socrates : A quoi sert la rhétorique ?
@Gorgias : Du discours.
Socrate : Quel genre de discours, @Gorgias – un discours tel qu’il apprendrait aux malades sous quel traitement ils pourraient se rétablir ?
@Gorgias : Non.
Aujourd’hui, de beaux esprits du monde entier, du créateur de Harry Potter @jk_rowling au bibliothécaire local, pourraient se joindre au dialogue. Twitter ouvre les silos. Et bien qu’il ne fasse qu’un sixième de la taille de Facebook, ce qui se passe sur Twitter percole au-delà de Twitter, en partie parce que les journalistes sont à l’écoute.
Twitter n’a pas atteint l’égalité. La grande majorité des utilisateurs sont des hommes et proviennent généralement de pays riches. Mais Twitter est certainement la version la plus égalitaire à ce jour de ce que le philosophe allemand Jürgen Habermas a surnommé « la sphère publique ». Les tweets des gens ordinaires ont contribué à alimenter #MeToo, #BlackLivesMatter et maintenant le soulèvement iranien. Pendant ce temps, nous vivons la première guerre de l’histoire dans laquelle de modestes participants tweetent des vidéos. Regarder des soldats russes se rendre aux Ukrainiens, c’est comme voir des images en direct de la Première Guerre mondiale.
Twitter a contribué à améliorer le langage. Le tweet de 140 caractères est une forme littéraire, comme le haïku, et il forme les experts à parler humain. Il y a aussi l’art naissant des montages Twitter : combiner des mots avec l’image parfaite. Et puis il y a les running gags, comme le retweet rituel du message de @David_Cameron juste avant les élections de 2015 au Royaume-Uni : « La Grande-Bretagne est confrontée à un choix simple et inéluctable : la stabilité et un gouvernement fort avec moi, ou le chaos avec Ed Miliband. » Pas étonnant que Elon Musk ait envie de cette plateforme financièrement décevante. Après tout, Jeff Bezos n’a qu’un journal.
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